« Le libre accès à la culture doit-il être considéré comme un droit ? Comment lutter contre le pillage, la violation des droits d’auteur et le partage illégal ? L’arsenal législatif dans les différents Etats européens est-il suffisant pour lutter contre la piraterie ? Comment éviter le «tout répressif» ? », ce sont quelques-unes des questions qui ont été débattues ce mercredi soir.

Autour de la table, se sont succédés Alexis Ewbank, avocat spécialisé dans la protection de la création, Pascal Leduc, avocat spécialisé dans les nouvelles technologies et professeur de droit d’auteur à l’Institut des Arts de Diffusion (IAD), Jean-Marc Lederman, compositeur, interprète et producteur et Sébastien Witmeur, Legal Commercial Manager à la SABAM.

 Pas sans l’Europe
C’est Sébastien Witmeur qui a ouvert le débat en rappelant le cadre législatif dans lequel la Belgique se retrouve à jouer. « Si on cherche solution législative au problème de téléchargement illégal, il faut que cette solution s’insère dans le cadre des différentes directives de l’Union Européenne ».

 Pour le manager de la SABAM, « sous l’angle des ayants droits, le marché du support physique est virtuellement mort. Il est évident que cette diminution si rapide a pour cause l’importance du téléchargement illégal ».

Au-delà de ça, des sites tels que Deezer ou Spotify ne sont pas une réponse économique adéquate pour les artistes estime-t-il : « Ces sites ne sont toujours pas rentables et les auteurs ne sont pas rémunérés à hauteur de l’écoute ».

L’argent ne rentre d’ailleurs pas mieux du côté des salles. La vente des places de concert reste stable. « Le téléchargement n’a pas fait augmenter leur vente », confesse avec déception Sébastien Witmeur.

Des chiffres affolants
En matière de téléchargement illégal, la Belgique se situe en 15e position devant les USA qui occupe la 17e place à travers le monde. Pour les 6 premiers mois de 2012, 31millions d’œuvres ont été téléchargées illégalement.

Concernant la piraterie, la SABAM ne vise pas l’utilisateur privé, sauf quand il y a une vraie exploitation économique sans rémunération de l’auteur. « A ce moment-là, on n’hésite pas à montrer les dents, à porter plainte et à se constituer partie civile devant la Justice ».

Et de rappeler une action entreprise par la SABAM mais bloquée par la justice européenne : « En 2004, le peer to peer était en plein essor. On a tenté l’innovation : on a voulu régler le problème en amont, via les fournisseurs d’accès. On a attaqué Scarlet devant la cour d’appel de Bruxelles. Une question préjudicielle a été posée à Luxembourg et celle-ci est venue rappeler qu’elle reconnaissait le caractère fondamental du droit d’auteur mais qu’en l’espèce, la mesure de filtrage généralisé était trop large et disproportionnelle par rapport à l’objectif poursuivi. Elle risquait d’avoir des conséquences plus importantes notamment contre la liberté d’expression, de commerce… », explique Sébastien Witmeur, Legal Commercial Manager à la SABAM.

 Echec total
 Pascal Leduc, avocat spécialisé dans les nouvelles technologies et professeur de droit d’auteur à l’Institut des Arts de Diffusion (IAD), dresse un constat semblable. « Jusqu’à présent, toutes les tentatives ont été des échecs, à cause notamment d’obstacles pratiques ou techniques », dit-il. Et de pointer du doigt la dématérialisation, la délocalisation et la démultiplication des œuvres.

 « Ne faut-il pas capituler ? La loi et le droit d’auteur ont leurs limites », se demande-t-il.
 « A ce stade-ci de l’évolution technologique, on se pose la question si on n’aurait pas intérêt à faire comme en 94 : soustraire une série d’actes de reproduction pour les légaliser et les autoriser, notamment à des fins privées. A cette époque, on avait prévu une compensation à savoir un droit de rémunération : les CD, les graveurs…  avaient une taxe supplémentaire », rappelle-t-il.

A la différence de Sébastien Witmeur, Alexis Ewbank estime que ce n’est pas le téléchargement illégal qui a tué la vente des supports physiques, ni le prix des œuvres.

 « Lorsqu’on analyse les chiffres des ventes d’œuvres sur support et en téléchargement, on constate qu’ils augmentent mais on ne voit pas d’effondrement total du support physique, qui reste de loin un marché très rentable. Cela reste aussi de loin la première exploitation d’œuvres en Belgique et dans le reste des pays du monde. Je pense aussi au sursaut du support de vinyle qui retrouve un second succès. Il y a des déplacements des marchés : il en y a un pour les amoureux du support, un autre pour ceux des collections… Après avoir streamé et téléchargé à mort, ils reviennent vers le support physique », estime-t-il.

 « Ce marché-là, c’est une évolution dans les attitudes d’achat mais il n’est pas causé par le téléchargement illégal, il y a des adaptions des modes de vie. On perçoit moins l’intérêt d’acheter un support physique, ça ne veut pas dire que ces personnes ne sont pas prêts à adopter un comportement légal », conclut-il.

Par ailleurs, le prix des supports physiques a considérablement baissé depuis vingt ans, ce qui rend le téléchargement illégal encore moins excusable. Ceux qu’il faut poursuivre en justice, c’est aussi les utilisateurs privés et pas simplement les organisations illégales basées en Russie.

Pour Jean-Marc Lederman, le téléchargement illégal est évidemment critiquable mais il a ceci de positif qu’il assure une promotion mondiale de certains produits.  « La viralité est un fantastique moyen de promotion ».  Un des problèmes de la musique, c’est que les Majors ne se foulent absolument pas pour promouvoir les artistes. Ils se focalisent sur quelques produits hyper-commerciaux. Par ailleurs, des entreprises comme Amazon ou Apple voient uniquement dans la musique un moyen de vendre du matériel et des logiciels.

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