De l’avis unanime des 500 participants, le colloque du Centre Jean Gol à Ecolys ce vendredi 5 fut un véritable succès. Prenant place dans les deux immenses salles du Cercle de Wallonie-Bruxelles, ce colloque, organisé par Corentin de Salle et son équipe, a attiré près de 500 personnes avec une audience soutenue pendant 10 heures d’affilée, avec des pics de participation de 350 personnes en matinée et en milieu de journée. Une journée–marathon avec 8 panels et plus de 40 orateurs top niveau.
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Après un speech d’ouverture par le ministre-président Adrien Dolimont et un discours de Charles Gorintin, co-fondateur de Mistral et CTO d’Alan, la matinée a été consacrée à des panels de très haut niveau sur la finances et les PME, animés de main de maître par Amid Faljaoui, directeur de Trends et du Cercle de Wallonie-Bruxelles, partenaires de l’évènement, en présence de Pierre-Yves Jeholet, Eléonore Simonet, les CEO Fabrice Brion, Nicolas de Callataÿ et Adrien Brouns. Un panel sur l’IA & la Santé, animé avec entrain par Mathieu Michel, a réuni les CEO Thibaut Helleputte (DNAlytics) et permis de souligner la vitalité du tissu de PME actifs dans l’IA en Wallonie.
L’après-midi commença par un passionnant débat Microsoft-Google avec Jacqueline Galant sur la mise en place de l’IA dans l’administration, mais également le professeur Hugues Bersini représentant de l’Institut Fari et de Pascal Laffineur, CEO de Yuma. Il fut suivi par un non moins passionnant débat sur la cybersécurité, la sécurité et le développement de l’IA dans l’industrie de l’armement. En présence notamment du général Van Strythem, le vice-président mondial de Microsoft et le CEO de Nexova.
Les trois derniers débats de la journée, modérés par Corentin de Salle, furent consacré, premièrement, à l’enseignement en présence du célèbre médecin Laurent Alexandre qui insista sur le fait que les universités étaient démunies face à ce tsunami, des professeurs Yves Deville, Michaël Lobet et Hugues Bersini et aussi de Maureen Heymans, directrice mondiale de Google Learning qui détailla le développement d’une multitude d’outils d’apprentissage personnalisés en ligne. Un second débat passionnant sur la géostratégie a réuni les professeurs Nicolas Van Zeebroeck (Solvay), Pascal Coppens (essayiste et sinologue), Olivier Rousseaux (haut responsable de IMEC) et Yves-Alexandre de Montjoie, professeur à l’Imperial College. Il fut question de « la ruée vers l’IA », en jeu mondial et objet de toutes les convoitises, et la manière dont, entre les géants chinois et américains, les Européens pourraient tirer leur épingle du jeu grâce à des centres stratégiques. Troisièmement, le débat philosophique de la fin a confronté les visions de l’IA de Laurent Alexandre, Gilles Babinet et Laurent Hublet dans un débat de très haut vol.
Le président a conclu cette journée marathon en saluant l’immense succès de la journée et en annonçant la publication de deux études sur le sujet et l’adoption d’une quinzaines de mesures politiques sur l’IA.
Ouverture : Adrien Dolimont et Charles Gorintin posent les fondamentaux
Après l’ouverture du colloque par une vidéo d’introduction du Président du Centre Jean Gol et du MR Georges-Louis Bouchez, Adrien Dolimont, ministre-président de la Région wallonne, a introduit les enjeux du jour en soulignant l’importance stratégique de cette journée pour la Wallonie. Son intervention a mis en avant le rôle de la région dans la construction d’une capacité technologique endogène et la nécessité de préparer nos territoires aux transformations qu’apporte l’IA.
Le ministre-président de la Wallonie, a comparé l’IA à l’électricité : une technologie transversale, appelée à transformer l’ensemble du tissu économique, les services publics et la vie quotidienne. Il a insisté sur la nécessité, pour la Wallonie, d’« être actrice du changement et non spectatrice », en mettant l’IA au service de la réindustrialisation, de l’éducation et de la modernisation de l’administration, tout en assumant les risques liés à la désinformation et aux deepfakes.
Charles Gorintin, CTO d’Alan et cofondateur de Mistral, a ensuite abordé des fondamentaux techniques en répondant à la question centrale : « Qu’est-ce que l’IA ? ». Il a démystifié l’IA en rappelant que la rupture actuelle vient des modèles pré-entraînés généralistes et de l’arrivée prochaine d’agents IA capables d’agir comme de véritables collaborateurs. Selon lui, l’IA doit libérer les humains des tâches répétitives pour leur permettre de se concentrer sur la décision et le discernement : « L’IA doit rendre le travail plus humain, pas moins humain. »
La création de Mistral AI s’inscrit dans cette logique : offrir une réponse souveraine européenne dans un domaine trop dominé par les géants américains, avec l’idée qu’« on ne défend pas sa souveraineté par le repli, mais par le leadership ».
Panel 1 : IA & Finances
Le premier panel a permis de décrypter les enjeux de l’intelligence artificielle dans le secteur financier, un domaine où les transformations numériques s’accélèrent. Animé par Amid Faljaoui, ce panel a réuni le ministre de l’Économie Pierre-Yves Jeholet, Nicolas de Callataÿ (CEO de Citi Belgium), Laurent Loncke (Head of Retail à BNP Paribas) et Antoine Bruyns (cofondateur et CEO de Datasharp). Les intervenants ont exploré comment l’IA optimise les services bancaires et financiers, améliore l’analyse des données clients et crée de nouveaux modèles de valeur dans le secteur. Cette discussion a mis l’accent sur la nécessité d’adopter ces technologies pour rester compétitif tout en garantissant la responsabilité et la conformité réglementaire.
l’IA est-elle une bulle financière ou une révolution industrielle durable ? Les intervenants ont convergé : contrairement à la bulle Internet, l’IA repose sur des fondamentaux industriels solides. Pour Laurent Loncke, l’IA constitue « une véritable révolution industrielle, plus structurante que la bulle internet », tant elle transforme les modèles bancaires, la relation client, la productivité et la gestion des risques.
Nicolas de Callataÿ a été particulièrement clair : « Le risque de rater la révolution de l’IA est plus grand que le risque d’une bulle spéculative. »
Le panel a rappelé que le financement de l’IA ne se limite pas au capital-risque : prêts bancaires, investissements des grandes entreprises et mobilisation de l’épargne privée seront déterminants. Une piste évoquée est de permettre aux citoyens d’investir leur épargne dans des fonds dédiés à l’IA, à l’image du modèle suédois, afin d’associer la population à la création de valeur.
Sur le plan européen, le constat est préoccupant : l’Europe ne dispose que d’une fraction de la puissance de calcul mondiale (GPU) alors qu’elle représente une part importante du PIB mondial. Selon les intervenants, la stratégie européenne doit donc être ciblée : se concentrer sur les domaines où elle peut se différencier, tout en adoptant rapidement les innovations issues d’ailleurs.
Dans le monde bancaire, l’IA permet déjà une personnalisation à grande échelle, des gains de productivité massifs (avec des dizaines de milliers de jours-homme économisés chez certains acteurs) et, paradoxalement, une réhumanisation du travail en libérant les conseillers des tâches administratives pour se recentrer sur l’accompagnement des clients. « L’IA n’est pas là pour déshumaniser la banque, mais pour redonner du temps au conseil et à la relation. »
Les intervenants ont aussi mis en garde contre les risques d’exclusion (accès au crédit, à l’assurance) et plaidé pour une IA responsable, transparente et non discriminante. Le secteur financier pourrait devenir un “notaire du réel”, certifiant la fiabilité des informations face aux deepfakes.
Panel 2 : IA & Santé
Sous la modération de Mathieu Michel, ancien Secrétaire d’État au numérique, le deuxième panel a exploré le potentiel transformateur de l’IA dans le secteur médical et hospitalier. Charles Gorintin (CTO et cofondateur de Mistral), Thibaut Helleputte (CEO de DNAlytics), Alixe Evrard (CEO d’Adidom), Giovanni Briganti (psychiatre, neuroscientifique et professeur à l’ULB) et Ségolène Martin (CEO de Kantify) ont discuté de la manière dont l’intelligence artificielle peut adresser les défis de pénurie de personnel, améliorer les diagnostics et libérer du temps médical pour l’accompagnement humain des patients. Cette thématique centrale souligne que la machine ne remplacera jamais le praticien mais le délèstera des tâches les plus rébarbatives, permettant une médecine plus efficace et plus humaine.
Ce panel a montré à quel point l’IA est déjà en train de transformer la médecine, tout en révélant les faiblesses structurelles du système belge et européen.
Charles Gorintin a présenté la stratégie d’Alan : utiliser l’IA pour passer d’un système centré sur le soin curatif à une santé préventive, en mobilisant des assistants IA validés pour détecter plus tôt les signaux faibles et orienter les patients.
« Alan reconstruit l’assurance santé pour passer d’une médecine de la réparation à une médecine de la prévention. »
Ségolène Martin a illustré le potentiel de l’IA pour la découverte de médicaments, notamment dans les maladies rares. Grâce à des modèles d’IA de nouvelle génération, il devient possible de passer de 100 000 molécules candidates à une dizaine en quelques heures et d’évaluer des milliards de composés en un temps record, avec des validations précliniques sur des cibles réputées difficiles.
Alixe Evrard a présenté une solution d’IA pour le maintien à domicile des seniors, avec déjà plusieurs centaines de dispositifs déployés : capteurs, alertes intelligentes, détection de dénutrition ou de chutes potentielles, le tout avec une attention scrupuleuse à la vie privée. Le principal frein identifié est l’adoption par la première ligne (médecins généralistes, infirmiers), ce qui appelle des incitations et un accompagnement spécifique.
Giovanni Briganti a mis en avant le travail académique en cours : chaires d’IA en santé, formation de plus de mille étudiants, baromètres montrant une adhésion croissante des cliniciens. Les gains cliniques sont réels, même si les bénéfices administratifs demeurent encore limités.
Thibaut Helleputte a insisté sur deux enjeux structurants :
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l’interopérabilité des données de santé, condition du futur Data Space européen ;
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l’absence d’un véritable marché de la prévention remboursée en Belgique, qui pousse les startups à chercher leur avenir ailleurs.
De manière transversale, le panel a appelé à penser “par Europe” : standardiser, éviter la sur-transposition réglementaire, accélérer les procédures et offrir un « oxygène » réglementaire, financier et technologique pour que l’Europe reste un pôle biopharma attractif.
Panel 3 : IA & PME
Le troisième panel a examiné comment les petites et moyennes entreprises peuvent saisir les opportunités offertes par l’intelligence artificielle. Animé par Amid Faljaoui, ce panel a réuni la ministre des Classes moyennes Éléonore Simonet, Clarisse Ramakers (directrice générale d’Agoria-Wallonie), Fabrice Brion (CEO de I-Care), Laurent Renard (CEO de Phoenix IA) et Gilles Babinet, CEO et essayiste auteur de Green IA. Les intervenants ont mis l’accent sur l’importance de démocratiser l’accès aux outils d’IA pour les PME wallonnes et belges, en soulignant que l’innovation ne doit pas rester l’apanage des grandes corporations. Cette discussion a également abordé les enjeux écologiques de l’IA, un point clé pour un développement durable et responsable.
Clarisse Ramakers a présenté un baromètre de maturité qui souligne l’écart entre secteurs et le retard de la Wallonie par rapport à la moyenne européenne. Elle a mis en avant des initiatives concrètes comme Start AI et plaidé pour des data centers locaux afin de renforcer la souveraineté des données. « L’IA remplace des tâches, pas des métiers. Le vrai enjeu est d’analyser le contenu des fonctions et de réinventer les rôles. »
Éléonore Simonet a rappelé que l’IA est un levier de productivité et de simplification administrative, sans forcément menacer l’emploi global : certaines études évoquent jusqu’à 65 % des tâches transformables sans hausse du chômage. Elle a détaillé plusieurs axes du plan PME 2025 : regulatory sandboxes pour tester des innovations dans un cadre sécurisé, mise en open source de brevets dormants, approche digital first, souhait d’incitants fiscaux comme l’amortissement dégressif pour les investissements numériques.
Fabrice Brion a employé des mots forts pour qualifier le retard européen, parlant de risque de “tiers-monde digital”. Selon lui, il ne s’agit pas de construire une “ligne Maginot digitale”, mais de viser d’emblée les marchés mondiaux. Il a insisté sur la priorité à donner aux cas d’usage générateurs de revenus (comme la maintenance prédictive) plutôt qu’aux seules réductions de coûts. « L’IA transforme les données en informations pour décider mieux, plus vite et moins cher. Ne pas l’adopter, c’est accepter le déclassement. »
Laurent Renard a défendu une vision souveraine et pragmatique de l’IA, reposant sur des modèles installables localement, l’open source et des solutions plug-and-play adaptées aux PME. Il a mis en avant la puissance de l’Edge : des modèles d’IA déployés au plus près du terrain, sur des capteurs ou caméras très peu énergivores, réduisant la dépendance au cloud.
Gilles Babinet a pris du recul sur la temporalité de la transformation : l’IA est un marathon, pas un sprint. Il a relativisé certains scénarios énergétiques catastrophistes en soulignant les progrès des architectures Edge et des nouveaux matériels (tensors, GPU de nouvelle génération), tout en plaidant pour un cadre européen pro-startup, avec des dispositifs dérogatoires permettant aux innovateurs de grandir plus vite.
Panel 4 : IA & Administration
Le quatrième panel a porté sur la modernisation de la gouvernance publique par l’intelligence artificielle. Modéré par Frédéric Panier (CEO d’Akt), ce panel a rassemblé Jacqueline Galant (ministre régionale de la Fonction publique), Didier Ongena (vice-président Global Government de Microsoft), Kurt Rommens (Head of Government and Public Sector chez Google Cloud), Hugues Bersini (professeur à l’ULB, cofondateur du think tank FARI) et Pascal Laffineur (CEO de Yuma). Les experts ont exploré comment l’IA peut améliorer l’efficacité administrative, centraliser et traiter davantage d’informations, cibler avec précision les bénéficiaires d’aides publiques et, défi majeur, évaluer l’efficacité réelle des politiques publiques, un domaine actuellement déficient selon l’analyse critique présentée.
Jacqueline Galant a présenté des projets pilotes en Région wallonne, notamment dans l’analyse des permis d’environnement, où des processus qui prenaient des mois peuvent désormais être traités en quelques heures grâce à l’IA. Elle a souligné que l’IA est un outil pour simplifier la vie des citoyens et des entreprises, mais aussi pour rendre l’administration plus attractive pour les jeunes talents.
Les représentants de Microsoft et Google ont rappelé l’ampleur des enjeux économiques : jusqu’à 9 % de PIB supplémentaire et plusieurs milliards d’euros d’économies potentielles pour l’administration belge. Ils ont détaillé des cas d’usage concrets : analyse automatisée de documents, optimisation des marchés publics, modernisation des systèmes “legacy”. Ils ont aussi insisté sur les garanties contractuelles concernant la confidentialité des données et sur la possibilité d’intégrer des modèles européens comme Mistral dans leurs plateformes.
Pascal Laffineur a résumé le enjeu en une formule : « IA + humain > IA seule. Le blocage est rarement technologique. Il est humain et organisationnel. »
Hugues Bersini a, lui, mis l’accent sur le déficit d’“acculturation” numérique dans les administrations : les projets échouent moins par manque de technologie que par manque de formation, de compréhension et de compétences internes. Il a plaidé pour un recours accru à des solutions open-source locales et mis en garde contre le “réflexe de la consultance”, source de dépendance durable.
Le panel a convergé sur plusieurs conditions de réussite :
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une vision stratégique claire portée au plus haut niveau ;
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une formation massive des fonctionnaires ;
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une approche collaborative impliquant les métiers, et pas seulement l’IT ;
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une réflexion approfondie sur la souveraineté numérique.
Panel 5 : IA, Défense & Cybersécurité
Le cinquième panel a abordé les enjeux stratégiques de l’IA dans les domaines militaire et sécuritaire. Modéré par Jolan Vereecke, directeur de cabinet du Mouvement Réformateur, ce panel a réuni le Général Michel Van Strythem (chef de la task force « Drones et innovation » de l’armée belge), Gaëtan Desclée (CEO de Cyber Nexova), Thierry Renaudin (CEO de John Cockerill Defense) et Damien Ernst (ingénieur, professeur à l’ULg, cofondateur et CSO de Belerion). Cette discussion a souligné l’importance critique d’une souveraineté technologique européenne face aux défis géopolitiques contemporains et la nécessité de développer une expertise belge et wallonne dans les technologies émergentes de défense.
Damien Ernst a livré une vision choc : selon lui, l’avenir de la guerre sera dominé par des affrontements entre drones et robots autonomes, et les armées qui n’intégreront pas l’IA deviendront obsolètes. Il a alerté sur l’extrême vulnérabilité des infrastructures critiques européennes, estimant qu’« une seule personne avec une camionnette et une centaine de drones pourrait provoquer un black-out continental ».
Le général Michel Van Strythem a reconnu l’importance décisive de l’IA et des drones, tout en défendant le concept de “Manned–Unmanned Teaming” : « L’avenir, ce n’est pas une guerre de robots contre robots. C’est la collaboration homme–machine, où l’humain reste au commandement. »
Il a rappelé que le cycle d’innovation sur le terrain, en particulier en Ukraine, est descendu à 40 jours, et que la Belgique ne peut plus se permettre de retarder les décisions en matière de protection des infrastructures.
Gaëtan Desclée a rappelé que la guerre de demain sera avant tout cyber et digitale, avec des entreprises belges confrontées à plus d’un millier de tentatives d’attaques par semaine. Il a néanmoins souligné le savoir-faire reconnu de l’écosystème belge de cybersécurité.
Le représentant de Microsoft a mis en évidence l’ampleur de la cybercriminalité, une industrie estimée à plus de 10 500 milliards de dollars, désormais plus lucrative que le trafic de drogue. L’IA a démultiplié le volume et la qualité des attaques, notamment sur les mots de passe, tandis que 80 % des attaques exploitent encore des failles de base (absence de MFA, systèmes non mis à jour). « Le paradoxe, c’est que beaucoup d’attaques pourraient être évitées par une simple hygiène numérique. »
Thierry Renaudin a, enfin, insisté sur la nécessité de garder l’humain dans la boucle pour toute action létale et de privilégier des solutions on-premise pour la souveraineté technologique, tout en reconnaissant la nécessité d’architectures hybrides (cloud + local) pour la résilience.
Panel 6 : IA & Enseignement
Le sixième panel, modéré par Corentin de Salle (directeur scientifique du Centre Jean Gol), a exploré la transformation de l’éducation par l’intelligence artificielle. Mathieu Michel (député fédéral), Maureen Heymans (directrice générale du pôle Education à Google), Laurent Alexandre (chirurgien et essayiste), Julie Foulon (CEO de Girleek et cofondatrice de Molengeek), Yves Deville (professeur à l’UCLouvain), Hugues Bersini (professeur à l’ULB) et Michael Lobet (physicien, professeur à l’UNamur et chercheur associé à Harvard) ont débattu de la manière dont l’IA peut personnaliser l’apprentissage, libérer les enseignants des tâches administratives pour qu’ils se concentrent sur l’accompagnement pédagogique et préparer les étudiants aux métiers de demain. Cette thématique cruciale adresse les défis d’une société en mutation rapide.
Julie Foulon a ouvert le débat en rappelant que la fracture numérique ne se limite pas à l’accès au matériel, mais comporte huit niveaux (compétences, langage, confiance, etc.). Girleek utilise l’IA comme un tuteur patient et personnalisé, capable de s’adapter à des publics très divers (notamment les femmes en reconversion) et de traduire, répéter, reformuler les contenus.
Laurent Alexandre a dressé un constat alarmiste : l’IA dépasse déjà l’expertise humaine dans certains domaines (comme la médecine), rendant obsolètes de nombreux cursus traditionnels. Il a dénoncé le décalage massif entre les investissements colossaux dans l’éducation des IA et le sous-financement des universités. « Ne pas réformer profondément l’université, c’est une attitude antisociale qui condamnera les classes moyennes et populaires. »
Face à lui, les professeurs Yves Deville, Hugues Bersini et Michael Lobet ont assumé une position de réforme continue plutôt que de révolution. Pour eux, le rôle de l’université est en train de se déplacer : il ne s’agit plus simplement de transmettre des savoirs, mais de développer l’esprit critique, la créativité, la collaboration et une véritable capacité à créer des systèmes d’IA plutôt qu’à simplement les consommer. « L’interaction humaine et la vie de campus restent irremplaçables. L’IA ne peut ni remplacer un séminaire, ni un débat entre étudiants. »
Maureen Heymans, de Google, a montré comment l’IA peut devenir un partenaire des enseignants : personnalisation des parcours, contenus plus engageants (images, BD, cas concrets), et surtout gain de temps en automatisant les tâches administratives, offrant aux professeurs plus de disponibilité pour le soutien humain. Elle a appelé à une co-création responsable avec le corps enseignant pour développer les compétences du XXIᵉ siècle : collaboration, créativité, pensée critique, growth mindset.
Mathieu Michel a élargi le propos en soulignant que l’impact de l’IA est “civilisationnel” et que le monde politique est, par construction, en retard. Il a plaidé pour une gouvernance forte (par exemple, une agence européenne de l’algorithme), une refonte des métiers autour de la certification continue plutôt que des diplômes figés, et, surtout, une éducation massive à la citoyenneté numérique. « La citoyenneté numérique est le maillon manquant. Sans elle, une majorité de citoyens subiront l’IA au lieu de la maîtriser. »
Panel 7 : Géopolitique de l’IA
Le septième panel a envisagé l’IA sous un angle géopolitique et stratégique. Modéré par le directeur scientifique du Centre Jean Gol Corentin de Salle, ce panel a rassemblé, Olivier Rousseaux (Director Venture Development à IMEC), Nicolas Van Zeebroeck (professeur en Économie Digitale à Solvay/ULB), Pascal Coppens (entrepreneur et sinologue spécialisé en IA en Chine) et Yves-Alexandre de Montjoie (ingénieur et professeur à l’Imperial College). Les intervenants ont analysé le rôle stratégique de l’IA dans la compétition mondiale entre grandes puissances technologiques et soulevé la question centrale : l’Europe importera-t-elle ses technologies (créant une dépendance) ou développera-t-elle sa propre capacité à rayonner mondialement grâce à une maîtrise souveraine de ces technologies ?
Nicolas Van Zeebroeck a rappelé que l’Europe est devenue un “nain technologique” : elle ne détient qu’une petite part de la puissance de calcul mondiale, une faible portion de la production de puces avancées, et plus de 90 % des données européennes sont stockées sur des infrastructures américaines. « L’IA est la technologie la plus rapidement adoptée de l’histoire par les individus, mais seulement 10 à 15% des entreprises l’utilisent réellement. Le reste du chemin est immense, et nous partons de loin. »
Pascal Coppens a souligné que les États-Unis et la Chine ne sont pas dans la même course : les premiers misent sur des modèles propriétaires, coûteux, centrés sur l’IP, tandis que la seconde parie sur l’open-source, les coûts bas et les applications verticales pour conquérir le Sud global. « La Chine démocratise l’IA. Si l’Europe ignore cette dynamique, elle sera colonisée par l’IA américaine. »
Olivier Rousseaux, d’IMEC, a plaidé pour une stratégie d’interdépendance stratégique plutôt que d’“indépendance totale” illusoire. L’Europe doit se concentrer sur des segments précis de la chaîne de valeur, en particulier les puces spécialisées pour l’IA, où des centres comme IMEC peuvent lui permettre de devenir incontournable. « Recréer toute la chaîne de valeur serait utopique. Mais devenir indispensable sur certains maillons est tout à fait à notre portée. »
Yves-Alexandre de Montjoie a identifié trois leviers concrets pour permettre à l’Europe de rester dans la course :
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Réduire la charge d’enseignement des chercheurs pour leur permettre d’être compétitifs au niveau mondial.
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Attirer les meilleurs talents internationaux, au lieu de les voir partir.
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Garantir l’accès à une puissance de calcul suffisante, car l’IA est une science empirique : sans compute, il n’y a pas de recherche de pointe.
Panel 8 : Éthique et Futur de l’IA
Le huitième et dernier panel a approfondi les dimensions éthiques et philosophiques de l’intelligence artificielle. Modéré par Corentin de Salle, ce panel a réuni Laurent Alexandre (chirurgien et essayiste), Laurent Hublet (philosophe et Partner chez Roland Berger, fondateur de Be-Central) et Gilles Babinet (CEO, essayiste et auteur de Green IA). Ces experts ont exploré les questions fondamentales : comment gouverner l’IA de manière responsable ? Quels garde-fous éthiques mettre en place ? Comment s’assurer que l’IA bénéficie à l’ensemble de la société sans exacerber les inégalités ? Cette discussion existentielle a posé les jalons d’une réflexion profonde sur le rapport entre technologie, humanité et valeurs.
En filigrane, trois grandes questions kantiennes ont servi de fil conducteur : Qui suis-je ? Quel monde ? Quel “Dieu” derrière l’IA ? L’IA y apparaît comme une nouvelle blessure narcissique, après Copernic, Darwin et Freud, en venant concurrencer nos capacités cognitives.
Gilles Babinet a mis en lumière la double face de l’IA : d’un côté ses externalités énergétiques (datacenters, consommation électrique colossale) et, de l’autre, son potentiel de décarbonation (optimisation des chaînes logistiques, agriculture, industrie). Il a décrit le clivage culturel entre accélérationnisme américain et prudence européenne, cette dernière étant parfois paralysée par un tabou humaniste qui peine à se traduire en post-humanisme opératoire.
Laurent Alexandre a défendu un diagnostic plus sombre, parlant d’une Europe “sur le toboggan technologique”, spectatrice du duel entre États-Unis et Chine. Il a évoqué deux grands horizons stratégiques : le transhumanisme (augmentation de l’humain) et le post-humanisme (remplacement ou fusion), tout en soulignant les promesses médicales immenses de l’IA (cancers, Alzheimer, biologie structurale). Pour lui, la technologie ne suffira pas à donner du sens : l’éducation devra accompagner ces mutations.
Laurent Hublet a proposé une éthique contextuelle et utilitaire, centrée sur les gains de productivité nécessaires pour préserver le modèle social européen face au vieillissement et à la baisse de natalité. Selon lui, l’enjeu central n’est pas un “grand remplacement par les machines”, mais la capacité de l’IA à produire suffisamment de productivité dans la santé, la justice et l’administration pour maintenir la prospérité.
Gilles Babinet a enfin rappelé que, contrairement à certaines narrations, l’IA n’est pas exponentielle de manière inéluctable, ce qui ouvre une fenêtre politique pour des réformes et une coordination européenne. C’est dans cet intervalle de temps que l’Europe doit clarifier sa vision, investir, simplifier ses normes, et se donner les moyens de devenir une puissance technologique souveraine.
Les conclusions de Georges-Louis Bouchez : L’IA, enjeu politique de souveraineté
Georges-Louis Bouchez, président du Centre Jean Gol et du Mouvement Réformateur, a clôturé cette journée majeure soulignant que l’intelligence artificielle n’est pas un sujet technocratique isolé, mais une question politique centrale. Cette révolution industrielle, certainement la plus importante de l’histoire de l’humanité, constitue à la fois une opportunité majeure si elle est saisie, et un très grand risque si elle est subie passivement. Pour le Centre Jean Gol, il s’agit d’amener cette thématique au cœur du débat public et politique, non pas pour restreindre par des lois mais pour prendre les bonnes décisions permettant d’exploiter les atouts de l’IA.
La conviction centrale du Président porte sur un enjeu existentiel : la maîtrise de la technologie IA est une question de souveraineté pour l’Union européenne. Le vrai défi géopolitique n’est pas de réguler les risques, mais de construire une capacité européenne endogène. Soit l’Europe importe massivement de l’étranger et creuse une dépendance technologique structurelle, soit elle développe sa propre expertise et rayonne mondialement. Un principe central guide cette vision : jamais une machine ne remplacera l’homme. L’IA délèstera les humains des tâches rébarbatives pour les libérer vers des activités de qualité — le travail créatif, l’accompagnement humain en santé ou en justice. Cette approche dépasse la peur de l’automatisation en affirmant que la technologie doit libérer plutôt que dominer.
Concrètement, le Centre Jean Gol et le Mouvement Réformateur vont déposer des propositions politiques visant à créer un cadre favorable au développement des start-up innovantes wallonnes et belges, à accélérer les démarches de propriété intellectuelle et à favoriser l’implémentation rapide de ces technologies dans la société. Des études approfondies seront également publiées à partir des échanges de cette journée, marquant notre volonté de s’inscrire durablement sur cette thématique qui modifiera elle-même durablement notre société.

