L’ancien ministre français de l’Education Nationale, Luc Ferry, a pris la parole lors des Universités d’été de ce 9 septembre pour donner sa vision de l’écologie libérale, une vision qui va à l’opposé du catastrophisme ou de la décroissance prônée par les partis de gauche.

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UNIVERSITÉS D’ETÉ – 9 SEPTEMBRE 2023
ANCIEN MINISTRE FRANÇAIS DE L’EDUCATION NATIONALE, LUC FERRY EST DOCTEUR EN PHILOSOPHIE ET ESSAYISTE

 

Mesdames, messieurs,

L’objectif de mon intervention de ce jour est de définir ce qu’est une écologie libérale. Comment rendre la protection de l’environnement compatible avec la croissance et le progrès ? Est-ce jouable face aux décroissantistes ?

Je vous livre d’abord une anecdote personnelle. A l’occasion de la sortie de mon premier livre sur l’écologie en 1992, j’ai été invité à l’émission « La marche du siècle » de Jean-Marie Cavada. A l’époque, il n’y avait que deux grands courants. En Allemagne on disait les Fundis et les Realos, ou, aux USA, les écologistes de fond et de surface. Les Fundis, révolutionnaires, étaient anticapitalistes et pour la croissance zéro. De l’autre côté, les Realos étaient des sociaux-démocrates réformistes et plaidaient pour le développement durable et la croissance verte. J’étais favorable à une idéologie réformiste. Jean-Marie Cavada avait invité deux opposants : le leader des Verts français et la patronne de Greenpeace. Ils m’ont donné deux métaphores :  « Quand la baignoire déborde, les imbéciles l’entourent de serpillères, les autres ferment les robinets », et « Quand vous êtes sur l’autoroute vers Marseille et que les panneaux indiquent Bruxelles, les imbéciles ralentissent, les autres font demi-tour ».

Cela me fait penser au film « Danse avec les loups », qui date de cette époque et raconte l’histoire d’un soldat blessé pendant la guerre de Sécession. Il va récupérer des forces aux confins des USA, dans « l’Etat de nature », où il vit justement au cœur de la nature. C’est la métaphore de la révolution conservatrice en cours à cette époque : il faut quitter le progrès destructeur libéral pour aller vers le retour à la nature incarné par les Native Americans.

A l’époque, il y avait quatre courants. Aujourd’hui, il y en a quatre :

  • Les décroissantistes
  • Les réformistes. Ce sont les chefs d’Etat et les chefs d’entreprise. Ils plaident pour le développement durable, soit la décroissance molle. On interdit par exemple les vols de courte distance, ce qui est stupide car ce n’est qu’une infirme partie du problème. C’est juste de la communication.
  • Les effondristes. Les collapsologues sont convaincus que la fin du monde est certaine en 2030. Yves Cochet, par exemple, prédit la mort de 4 milliards de personnes et essaie d’imaginer le monde d’après, sa réorganisation après la catastrophe, quand on n’aura plus de pétrole, d’électricité, quand on dépendra complètement de la production locale. Il dit que seule la décroissance pourrait sauver le monde, mais qu’elle est invendable, donc on va à la catastrophe.
  • L’éco-modernisme. C’est pour moi l’idée la plus intéressante. Elle reprend cinq idées fortes :
  • Le découplage : il s’agit du découplage entre les activités humaines polluantes (industrie, transport, agriculture) et une immense réserve sauvage susceptible d’absorber les effets de serre et de préserver la biomasse. Il y a aujourd’hui 8 milliards de Terriens. 4 milliards vivent sur 3% du territoire de la Terre. Si toute la population humaine pouvait tenir sur 20% de la surface de la planète, en aménageant les villes et en faisant en sorte que les réserves sauvages soient préservées, alors on pourrait avoir 80% de la planète destinée à la biodiversité, et cela ne gênerait personne.
  • Le recyclage : il y a déjà une obligation de recyclage dans nos pays européens et cela fonctionne. C’est d’ailleurs un marché porteur pour les entreprises. Prenons l’exemple de l’automobile. Il y a 5 aciers différents dans une voiture. Aujourd’hui on recycle tout ensemble. A l’avenir, il faut concevoir les voitures pour qu’elles puissent être désassemblées et donc recyclées à 100%. Le mantra est « la nature n’a pas de poubelle ». Dans la nature, tout est recyclé. Il faut donc l’imiter. La même idée doit prévaloir pour les ordinateurs, les téléphones, les éoliennes…
  • L’écologie de l’intelligence. Elle s’oppose à l’écologie de la morale. C’est le refus de l’écologie punitive. C’est plus stimulant de recycler si vous savez que cela va vous faire gagner de l’argent. Cela s’oppose au discours décroissant. J’ai traduit du Kant quand j’étais étudiant. Il écrit  qu’un peuple de démons serait capable de construire une société démocratique et paisible pour autant qu’il soit doté d’intelligence. Ce n’est donc pas une question de morale, mais d’intelligence.
  • Les technologies. Il n’y a pas de solutions sans passer par les high techs. Le retour aux low techs, c’est la catastrophe absolue. Rappelons par exemple qu’en 1950, on avait 100% de chances de mourir d’une leucémie. Aujourd’hui on en guérit 70%.
  • La dépopulation. J’ai longtemps cru qu’on allait vers la surpopulation. C’est complètement faux. Je vous conseille le livre de deux chercheurs canadiens « Planète vide ». Ils expliquent qu’on va vers 6 milliards d’habitants, pas 13 comme le prédisent les oiseaux de mauvais augure. Il y a trois raisons à cela. La première raison, c’est l’urbanisation. A la campagne, quand j’étais petit, il n’y avait plus personne dans les classes en juin car les enfants aidaient pour l’agriculture. Un enfant était une force de travail. En ville, c’est un boulet. Un enfant prend plus de place. Les jeunes européens quittent le foyer familial à 37 ans au Portugal et 36 ans en Espagne. En France, c’est 25 ans. Le rapport aux enfants a changé. Ce sont des boulets financiers. Plus il y a d’urbanisation, moins il y a d’enfants. La seconde raison, c’est la féminisation du monde. Quand les femmes ont accès à la contraception, elles font moins d’enfants. Le déclin de la natalité est donc inéluctable. La troisième raison, c’est l’Etat-providence. Plus un pays est riche, plus la protection sociale est élevée. Les enfants ne remplacent plus l’Etat-providence. En conclusion, plus un pays est féminisé, urbanisé et riche, plus la natalité s’effondre. Cela vaut déjà aujourd’hui pour l’Occident mais aussi pour le Mexique, l’argentine, le Sud-Est asiatique, la Chine. Donc on va vers la dépopulation. Le vrai problème est le vieillissement de la population, ce qui compliquera l’innovation.

Cet éco-moderniste est une écologie radicale car en rupture totale avec les révolutions industrielles, qui étaient linéaires et pas circulaires. On n’avait pas conscience autrefois des limites des ressources naturelles. Tout était jetable. C’était une logique d’épuisement. Nous sortons aujourd’hui de ce modèle. C’est une école libérale car elle est compatible avec le croissance et le progrès.

Je vous remercie.

 

 

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