Par Corentin de Salle, Directeur scientifique du Centre Jean Gol

 

Il y a quelques mois, Paul Magnette a publié “La vie large. Manifeste écosocialiste”. Malheureusement, ce manifeste s’avère à la fois naïf, confiscatoire, incohérent, erroné et dangereux. Voici pourquoi.

Samedi passé, Paul Magnette et Jean-Marc Nollet déploraient dans les colonnes de ce journal qu’il “n’y a pas d’écologie de droite”. Quoique le paradigme écologique aujourd’hui dominant est de gauche, il existe, courant depuis plus de deux siècles, d’Henri David Thoreau à Michaël Shellenberger, une tradition, minoritaire mais très vivace, d’écologie libérale. Face au cul-de-sac auquel a conduit le paradigme dominant, l’écologie libérale offre aujourd’hui une véritable alternative crédible, pragmatique et respectueuse des droits et libertés pour faire face au défi écologique. En Belgique, elle est défendue depuis plusieurs années par le MR et un manifeste – forgé au sein de séminaires (Forum Écologique Libéral) réunissant, plusieurs fois par mois et depuis un an, les députés MR, le milieu associatif et divers experts – sera publié prochainement, ainsi qu’un catalogue de propositions concrètes.

Il y a quelques mois, Paul Magnette a publié “La vie large. Manifeste écosocialiste”. Tout ce qui accroît le pluralisme et favorise le débat politique est bienvenu et on ne peut que saluer cette démarche intellectuelle qui s’inscrit, elle aussi, dans une tradition intellectuelle ancienne dans laquelle figurent des auteurs importants tels qu’Ivan Illich et André Gorz. Malheureusement, ce manifeste s’avère à la fois naïf, confiscatoire, incohérent, erroné et dangereux. Pourquoi ?

Premièrement, l’écosocialisme de Paul Magnette est naïf. Aussi incroyable que cela paraisse, son ouvrage ne traite pas de ce qui, pourtant, constitue l’épine dorsale de toute transition écologique, à savoir la question énergétique. En cherchant bien, on trouve çà et là, une référence à de “petites coopératives d’énergie renouvelable” et à la nécessité de “créer un système énergétique intégralement renouvelable” (p.253). Comment ? À quel coût ? Avec quel mix ? Aucune précision. À l’époque où l’ouvrage est paru, l’intéressé déclarait que le dossier nucléaire était définitivement “clôturé”. On sait aujourd’hui qu’il a changé d’avis. C’était avant la guerre en Ukraine… Autre proposition consternante : l’auteur considère que l’agriculture peut se passer d’engrais de synthèse, de pesticides, d’herbicides, d’insecticides, etc. si elle recourt à l’agroécologie, à l’agroforesterie, à la rotation des cultures, au fauchage tardif, à la plantation de haies remplies de prédateurs salvateurs, ce qui impliquera évidemment de “faire évoluer nos habitudes alimentaires” (p.28). Ici encore, aucune précision sur les rendements, les surfaces agricoles, l’augmentation de la main-d’œuvre, etc. Vu les inquiétudes exprimées ces deux dernières années par rapport à de potentielles pénuries alimentaires en Europe consécutives à la guerre en Ukraine, on peut se demander si, finalement, l’agriculture intensive – si décriée – est une si mauvaise chose…

Deuxièmement, cette approche est confiscatoire sur le plan économique. Le respect du droit de propriété est apparemment le cadet des soucis de l’auteur : il est question de nationaliser (ou, plus précisément, “socialiser”) les “actifs industriels essentiels” (p.165) et, de manière générale, les industries fossiles. Par ailleurs, tout ce qui est considéré comme faisant partie des “biens communs” (eau, ressources halieutiques, forêts, sols, terres agricoles, ressources minérales essentielles, etc.) sera soustrait au régime de propriété privée pour faire l’objet d’une gestion collective ou étatique (p.164). À suivre ce programme, il faut donc en déduire que l’État saisira leurs terres à tous les agriculteurs du pays pour être “gérées selon des méthodes démocratiques” (p.253). Rappelons que les pays de l’ex-bloc soviétique se définissaient aussi comme des “démocraties” populaires. Toutes les entreprises qui comptent plus de 12 employés (p.254) seront, elles aussi, “démocratisées”, c’est-à-dire que leur pouvoir de décision sera conféré à deux chambres, l’une comprenant les employés votant dans une “chambre” et l’autre aux actionnaires encore autorisés à voter dans une autre “chambre” vu que l’entreprise sera apparemment une entité politique avec un “système bicaméral”. Mais pour combien de temps ? Cette chambre des actionnaires pourrait même, comme le Sénat, perdre en influence à mesure qu’on “socialise le capital” (p.162). Pour ne pas s’arrêter en si bonne route, l’auteur prévoit encore un chapelet de taxes (taxe carbone, taxe sur les transactions commerciales et taxe sur la fortune) et plafonne les revenus des ménages (pas plus de 10 fois le revenu médian). De nouvelles recettes fiscales sont nécessaires pour entretenir le mythe socialiste de la gratuité : l’État finance pour chacun l’accès “aux biens essentiels à l’épanouissement humain” (p.178 et s.) : transports, bibliothèques, cantines publiques, activités sportives, services bancaires, communication de base, etc. Cette mutualisation permettra en effet de réduire les émissions de CO2.

Un projet incohérent

Troisièmement, cet écosocialisme est incohérent. Il vise à collectiviser l’économie pour relever le défi climatique et environnemental. C’est incohérent car le vingtième siècle a amplement démontré que la planification économique a échoué mais surtout qu’elle engendrait une pollution pire que dans les démocraties libérales (en 1987, l’émission de polluants dans l’air était cinq fois plus élevée en URSS qu’aux États-Unis, malgré un PIB deux fois plus faible) et conduisait à des désastres environnementaux d’ampleur inouïe (mer d’Aral, lac Baïkal, lac Ladoga, barrage des 3 gorges, etc.) car, dans une économie planifiée, il n’y a plus de propriétaires et donc plus de riverains pouvant se coaliser pour défendre leur droit de propriété, voire leurs droits tout court. Autre incohérence : l’écosocialisme d’André Gorz prône l’allocation universelle et cela s’inscrit assez rationnellement dans une civilisation du temps libérée assumée comme décroissante. Paul Magnette défend, lui, un “revenu de base” ou “salaire universel” mais, s’efforce-t-il d’ajouter, qui ne supprime en rien les allocations existantes (p.203), c’est-à-dire qui vient se surajouter à l’immense appareil bureaucratique de contrôle que les partisans de l’allocation universelle entendent justement abolir. Incohérence qui découle probablement du souci de ménager sa base syndicale et le fait que les membres de son parti ont rejeté l’allocation universelle par un vote interne il y a quelques années. Il est incohérent également de croire que l’étatisation de l’économie permettrait à elle seule de décarboner celle-ci. On peut imaginer, certes, quelques économies d’échelle mais l’auteur reconnaît qu’il faudra encore des véhicules, un peu d’acier, de ciment et de verre (p.172). Un modèle “d’acroissance” ou “d’altercroissance” ne peut atteindre la neutralité carbone. Faute de prévoir un solide projet industriel de décarbonation radicale de l’économie, il sera impossible à l’écosocialisme d’atteindre les objectifs climatiques de 2050.

Un projet dangereux

Quatrièmement, cet ouvrage repose sur une erreur fondamentale : le combat environnemental est un combat contre l’inégalité et donc contre le capitalisme et donc, finalement, contre les riches. Il est vrai que les nations et groupes sociaux les plus défavorisés sont les plus exposés aux dégradations environnementales. Même si le tiers-monde et des pays comme l’Inde et la Chine figurent aujourd’hui parmi les plus gros pollueurs, il est vrai aussi que l’Occident a historiquement beaucoup plus pollué la terre que les autres pays. Mais, si l’on comptabilise les externalités négatives du développement industriel fossile des deux derniers siècles, il faut aussi comptabiliser les externalités positives dont bénéficient aujourd’hui tous les habitants de la planète : on a multiplié l’espérance de vie par deux, la population par dix et la richesse mondiale par cent. Richesse qui a permis d’édifier l’État providence et qui finance la sécurité sociale. Par ailleurs, jamais notre société n’a disposé d’autant de connaissances et de techniques nouvelles…

Cinquièmement, cet écosocialisme est dangereux précisément parce qu’il cherche expressément à cultiver la colère. Les écolos, dit Paul Magnette, ont tort car ils mobilisent la passion de la peur. Or, quand les gens ont peur, ils n’agissent plus car ils sont tétanisés. A contrario, la colère – vertu injustement décriée qui a structuré toutes les luttes socialistes par le passé – permet de “mailler les luttes” contre un “ennemi commun”, à savoir le capitalisme. Au final, cela revient à désigner “les riches” – donc la classe moyenne, comme bouc émissaire, à l’écraser sous les taxes jusqu’à la faire fuir ou disparaître.

Premier parti francophone, le PS est démocrate mais, une chose est d’affirmer qu’on est attaché à la démocratie, une autre est d’en préserver ses conditions d’existence dans un pays qui est déjà fiscalement le plus taxé au monde. Cet ouvrage – dont les thèses économiques radicales n’ont pas été dénoncées par la presse – vise apparemment à attirer simultanément les électeurs d’Ecolo et du PTB. Mais, il n’est pas ouvertement communiste. Paul Magnette affirme en effet que les communistes ont eu tort : fascinés par le progrès et la technique, ils poursuivaient la croissance pour générer l’abondance (même s’ils n’y sont jamais arrivés). Par son productivisme, le marxisme est en réalité le frère ennemi mais jumeau du capitalisme. L’écosocialisme de Paul Magnette, lui, vise la sobriété et “l’altercroissance”. Mariant le pire de l’écologisme (restrictions, interdictions et austérité) et le pire du communisme (planification), ce manifeste ne fait-il pas reposer son hypothétique “vie large” sur la privation simultanée de la prospérité et de la liberté ?

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