Par Corentin de Salle, directeur scientifique du Centre Jean Gol & Jolan Vereecke, avocat et conseiller spécial du président du MR

 

Publié dans La Libre Belgique ce mardi 7 mars 2023.

Nous vivons dans l’un des pays les plus tolérants au monde envers les minorités sexuelles. C’est loin d’être le cas partout et cela n’a pas toujours été le cas sur notre continent : l’humiliation, la stigmatisation et la persécution ont longtemps été la règle en la matière. Succédant à de nombreuses avancées (égalité entre femmes et hommes, mariage entre personnes du même sexe, adoption homoparentale, etc.), la loi transgenre permet, depuis 2018, à toute personne majeure qui le désire de changer de prénom et de sexe sans devoir invoquer une raison médicale, sans procéder à une opération génitale ni même procéder à une transformation physique. Nous saluons ce droit à l’auto-détermination. Pourtant, sous prétexte de politiques « inclusives », nous voyons aujourd’hui s’imposer au plus haut niveau une tendance lourde qui, niant la binarité des sexes, prône des solutions d’une radicalité aussi stupéfiante qu’inquiétante. C’est le cas de trois projets discutés dans différents gouvernements.

Suppression de la mention du sexe sur nos cartes d’identité

Premier d’entre eux : la suppression, pour tous, de la mention du sexe masculin ou féminin sur nos cartes d’identité. Rappelons tout d’abord que le sexe est le fait biologique donné (homme, femme ou personne intersexe) et le genre, l’identité sexuelle choisie (homme, femme ou non binaire). Deux éléments distincts qui – eux-mêmes- ne doivent pas être confondus avec l’orientation sexuelle (hétérosexuelle, homosexuelle, bisexuelle, asexuelle, etc.). Vu qu’il appartient à chacun de décider librement de ces diverses identités et à être traité avec respect, chacun devrait pouvoir exiger la suppression de la mention du sexe sur sa carte d’identité, peu importe la raison, par exemple si son genre ne coïncide pas avec son sexe. Pourquoi, dès lors, ne pas carrément supprimer cette mention pour tous, même pour le citoyen lambda qui n’a rien demandé à personne ? C’est le débat qui a agité le gouvernement fédéral à la fin de l’année dernière. Parce que, pour l’écrasante majorité des gens, l’identité de genre coïncide avec le sexe, et que, pour eux, le fait d’être homme ou femme constitue un des éléments fondamentaux de leur identité. N’est-il pas disproportionné, sous prétexte de satisfaire une infime minorité, de gommer cette mention pour tous ? Pourquoi le souci louable de satisfaire aux demandes légitimes des minorités devrait-il être rencontré d’une manière qui porte nécessairement atteinte au souci tout aussi légitime des personnes de la majorité à être reconnues dans leur identité ?

Ne dites plus “mère “mais “personnes menstruées” ou “personnes à utérus”

Autre dossier : le projet de suppression des filiations paternelle et maternelle. Il est en effet question de remplacer, dans le Code civil, le mot « mère » par l’expression « parent ayant accouché » et de gommer ainsi les notions de « paternité » et de « maternité » considérées par certains comme vexatoires pour les parents transsexuels. Cette suppression, en décalage radical avec la réalité sociologique dominante, est parfaitement inutile car il est tout à fait possible de créer une filiation transsexuelle, à l’image de la filiation adoptive et de la co-maternité qui existent déjà. Nul besoin de jeter par-dessus bord les notions de paternité et de maternité, dont l’ancrage sociétal, institutionnel, historique et culturel rend tout à fait légitime le maintien dans notre Code civil. De plus, cette proposition a pour effet de gommer la notion-même de femmes, ce qui heurte à raison de nombreuses féministes. En effet, parler, au nom de cette idéologie, de « personnes menstruées » ou de « personnes à utérus » ne conduit-il pas paradoxalement à invisibiliser les femmes ?

Ni blocage hormonal ni opération de changement de sexe pour les ados

Dernier exemple, certains passages du nouveau guide EVRAS (Education à la vie relationnelle, affective et sexuelle) censé être appliqué à la rentrée scolaire prochaine en Fédération Wallonie-Bruxelles. On y lit (p.160) qu’un enfant de 5 ans devrait « prendre conscience que son identité de genre peut être identique ou différente de celle assignée à la naissance » et aussi (p.162) qu’il importe, concernant les enfants de 9 ans, « de favoriser le sentiment de bien-être par rapport à sa propre identité de genre : adopter une démarche différente (ou pas), changer sa façon de s’habiller (ou pas), prendre des hormones (ou pas), recourir à des opérations chirurgicales (ou pas) ».

Il faut bien évidemment assurer aux enfants une éducation à la vie affective et sexuelle et l’homosexualité ou la transidentité sont des réalités auxquelles il faut les sensibiliser. Encore faut-il ne pas devancer les interrogations des élèves, ni encore moins projeter sur eux des approches idéologisées et des réponses d’adultes : on risque réellement, comme de nombreux pédopsychiatres l’ont bien mis en évidence, de perturber le développement psychoaffectif des enfants de 5 et 9 ans si on les invite à se positionner prématurément sur leur identité sexuelle. Ainsi, selon la SBGM (Society for Evidence Based Gender Medicine), on assiste, dans différents pays, à une explosion (de 1.000 à 4.000% !) des dysphories de genre ces 15 dernières années, soit la période où des animations concernant les identités de genre ont commencé à être proposées dans les écoles des pays concernés. Par ailleurs, il faut s’opposer à tout « blocage hormonal » et à toute opération chirurgicale de changement de sexe avant l’âge de la majorité. L’enfance et l’adolescence sont des périodes de construction et de bouleversements au cours desquelles il est parfois urgent d’attendre, tout en restant à l’écoute. Raison pour laquelle certains pays, dont la Suède, ont fait marche arrière et supprimé l’hormonothérapie et l’ablation des seins pour les mineurs. Le principe est simple : chaque personne majeure doit être libre de disposer de son corps mais aucune avancée pour les personnes transgenres ne peut être obtenue au détriment de la protection de la santé des mineurs.

L’idéologie transgenre et sa police de la pensée

Il faut par ailleurs distinguer ici les personnes transgenres – dont certaines souffrent encore de discriminations, lesquelles sont inacceptables et doivent être combattues – et un mouvement radical qu’on appellera faute de mieux « l’idéologie transgenre », lequel est le dénominateur commun à tous ces projets de « déconstruction du genre ». S’il s’agissait uniquement de poursuivre une égalité effective entre hommes et femmes, de lutter contre les préjugés sexistes et homophobes, de protéger les minorités sexuelles, etc., qui pourrait s’y opposer ? Mais, ce mouvement venu d’outre-Atlantique il y a plusieurs décennies constitue une radicalisation et même, dixit Judith Butler, sa principale théoricienne, une « subversion » du féminisme. Loin de rester cantonnées dans les facultés américaines de sociologie, ces théories comptent désormais des prosélytes zélés dans plusieurs formations politiques et dans des milieux associatifs, scolaires et académiques. Dans leur sillage s’est mise en place une véritable novlangue et, avec elle, une police de la pensée avec ses procureurs, ses tribunaux, ses excommunications et ses sentences publiques.

Exploser les repères et détruire la binarité

La vraie finalité de cette idéologie, dans sa version la plus radicale, est de faire exploser les repères, de détruire la binarité, bref – pour reprendre le titre du célèbre ouvrage de Judith Butler dont c’est l’objectif proclamé – de « troubler le genre ». Pourquoi ? Parce que nos institutions sociales (langage, filiation, éducation, etc.) seraient autant d’outils assurant inconsciemment l’oppression masculine : elles doivent dès lors être intégralement reconfigurées. D’où ce travail de sape méthodique et le prosélytisme de certains auprès des enfants et adolescents. La plupart du temps, cette volonté de renverser l’ordre social coexiste avec une hostilité de principe envers la démocratie libérale jugée injuste, exploitatrice, non durable voire structurellement raciste.

Pourtant, même si, entre hommes et femmes, des inégalités demeurent et doivent être combattues, des progrès considérables ont été accomplis ces dernières décennies. Les minorités sexuelles sont reconnues et protégées. Certes, il faut continuer à lutter contre l’homophobie et la transphobie, assurer l’autodétermination, respecter l’identité de chacun et accompagner utilement tous ceux qui sont en questionnement. Par contre, le projet idéologique absurde visant à « déconstruire le genre » – sous-jacent aux trois dossiers examinés et importé d’un continent qui diffère singulièrement du nôtre quant aux traitement des minorités sexuelles et aux rapports entre sexes – ne peut, en raison de son radicalisme, déboucher que sur le conflit. A ce titre, toute personne attachée à une coexistence égalitaire, pacifique et harmonieuse entre personnes – quels que soient leur sexe, leur genre et leur orientation sexuelle – doit impérativement s’y opposer.

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